Je peins pour me déconditionner.

En cherchant dans mes cartons issus d’un de mes derniers déménagements, j’ai retrouvé la plupart de mes bouquins de Michaux : la nuit remue, les Plume… Cet auteur a vraiment été capital pour moi !.

J’ai retrouvé ce petit bouquin « Emergences-Résurgences » dans lequel il commente ses premiers essais à la peinture.

Emergences-Resurgences

Je le feuillette ce bouquin que j’ai lu et relu il y a plus d’une vingtaine d’années. Ça me donne envie de m’y replonger, maintenant que je sais beaucoup plus. En le lisant, je pense à mes récentes discussions. Je n’y ressentais, au milieu de la vingtaine, qu’émotion, mais tellement forte. Je comprenais sans comprendre… Ressentais quoi…  Et là, je m’arrête sur la phrase d’introduction.

Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du « verbal » (et avant l’époque de l’invasion des images),

Je peins pour me déconditionner.

michaux

 

Noir de mécontent. Noir sans gêne. Sans compromis. Noir, qui va avec l’humeur coléreuse.
Noir qui fait flaque, qui heurte, qui passe sur le corps de…, qui franchit tout obstacle. qui dévale, qui éteint les lumières, noir dévorant.
Un emportement ici, décidément plus grand que l’abandon, devient de plus en plus nécessaire, plus impérieux, plus à sa place.
Noir mauvais du refuseur, du négateur. De l’envahisseur qui va franchir les frontières.

PRENDRE POUR REPOUSSER.

Ce sale flot noir, qui se vautre, démolissant la page et son horizon, qu’il traverse aveuglément, stupidement, insupportablement, m’oblige à intervenir.

Aux mouvements de colère qu’il suscite en moi, je me reprends, je le reprends, le divise, l’écartèle, l’envoie promener. La grosse tâche naturellement baveuse je n’en veux pas, je la rejette, la défait, je l’éparpille. A mon tour ! Les grands gestes que je fais pour me débarrasser des flaques aident naturellement à exprimer de grands dégoûts, de grandes exaspérations. Ils sont expressifs. Il faut faire vite. Les sombres pseudopodes qui en quelques instants sortent des tâches gonflées d’encre me somment de voir clair tout de suite, de décider à l’instant.
Me débattant avec la tâche, il y a des combats. Promptement reliés, les rages, les emportements sont devenus des combattants, des silhouettes de combattants partant à l’escalade, à l’assaut, sont devenus des fuyards, ou des unités défaites, en débandade générale.
Je repousse.
Est-ce cela que sent et voit celui qui regarde ces encres ? Non.
Combien de fois quelqu’un m’y a décrit ce qu’il ressentait et qui en était presque le contraire. D’ailleurs repousser, c’est également se dégager, briser les chaînes, recouvrer sa liberté, c’est l’envol.
Ne pas prendre, « repousser » pour ce que ça n’est pas et ce que ça ne va pas rester.
Noyau d’énergie (c’est pourquoi son objet ou son origine n’importe) il est l’obstacle et le tremplin magique qui va me donner ma vitesse de libération.
L’art est ce qui aide à tirer de l’inertie.
Ce qui compte n’est pas le repoussement, ou le sentiment générateur, mais le tonus. C’est pour en arriver là qu’on se dirige, conscient ou inconscient, vers un état au maximum d’élan, qui est le maximum de densité, le maximum d’être, maximum d’actualisation, dont le reste n’est que le combustible – ou l’occasion.
C’est elle maintenant, cette densité, qui attire et excite, loin de causer de la répulsion (chez certains pourtant, si – plus clairvoyants!).
Ainsi, contre ma naturelle inertie, à quoi il m’arrache, c’est le plus énergétique moyen intérieur dont je dispose contre le proche ou le lointain entourage, celui qui me recharge le plus, qui donne réponse à cent situations, car je suis assez souvent débordé, dans la vie, ou plutôt je serais, sans cela.
Mais là non plus je ne veux pas le savoir ; sur le moment je suis en campagne, j’ai autre chose à faire que de penser.
Et après ?
Et bien je vois surtout leur mouvement. Je suis de ceux qui aiment le mouvement, le mouvement qui rompt l’inertie, qui embrouille les lignes, qui défait les alignements, me débarrasse des constructions. Mouvement, comme désobéissance, comme remaniement.
Par mon incapacité, riche au moins en surprises, je me donne des surprises. Plus qu’ailleurs, jeune par jeune savoir. Par les chocs, les bévues. (Et non pas fixé au résultat tel quel, mais pour savoir ce qui viendra après. Peinture-étape).
Peindre pour manipuler le monde (ses formes), le tâter de plus près, directement. Je devais sans doute rencontrer la peinture. La peinture est une base où on peut commencer à zéro. Support qui doit moins aux ancêtres. Au moins, je fais éclater un des couvercles qui me retenait.
…….
Aller de l’avant, vivement et sans reprise, le tout dans la pâte colorée, légèrement s’y enfonçant, avançant comme un soc de charrue qui ne serait pas du tout lent – mais qui pareillement va soulever à gauche et à droite la molle glaireuse surface, laquelle s’éclaire sur les bords… et un imperturbable et impératif sillon est tracé qui ne sera plus comblé.
Une fois de plus je pense être spontané, totalement, sans corrections, sans deuxième état, sans avoir à y revenir, à retoucher. D’emblée, là.
L’immédiat, les immédiats… Le nouveau venu… in statu nascendi… débloquant en moi un je ne sais quoi, rompant des retenues, des réserves, fêtant un devenir, un inattendu « devenir » : gouaches.

Trait hors des chemins, sûr de son chemin, qu’avec nul autre on ne saurait confondre.
Tout comme une gifle qui coupe court aux explications.
Peinture pour l’aventure, pour que dure l’aventure de l’incertain, de l’inattendu. Après des années toujours encore l’aventure.

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