Rodolphe

Rodolphe était un grand enfant noir, immense, avec de grands yeux, et une chevelure à la Jimi Hendrix. Il était un peu spécial Rodolphe, il parlait (hurlait) un français impeccable du 19ème siècle, riait très fort à toutes les blagues, marchait en jouant d’une batterie imaginaire, en chantant tous les sons, en rythme… Bref, Rodolphe n’était pas comme les autres, il était fou. Mais un gentil fou.

Tout le monde s’éloignait de lui, peu lui parlaient, et bien sur pas ses camarades du même âge. Je le voyait souvent, il venait chez moi, régulièrement. Pourquoi, je ne me souviens pas vraiment, mais ma mère l’aimait beaucoup. Il venait quand il était seul, que ses parents n’étaient pas encore rentré – c’était un peu la maison du bonheur à cette époque chez moi, quand mon père travaillait… Ma mère aimait parler avec lui – il devait avoir dans les 14 ans à l’époque. Ils parlaient anglais ensemble, ou de bouquin, de musique, elle l’aidait à faire ses devoirs. Enfin l’aider… Parce que tout était facile pour Rodolphe, il était du genre fou supérieurement intelligent. Asperger assurément.

Ensuite il venait écouter de la musique avec moi, sur le divan. Il me parlait de Duke Ellington, il connaissait son œuvre par cœur, et chantait à tue tête, ou me racontait des anecdotes sur Cootie Williams ou Ben Webster. Moi je découvrais cette musique, et adorait ces échanges.

Un jour il me raconta comment, à un concert de Nougaro, il était allé lui serrer la main après en lui hurlant chaleureusement : « vous savez, Claude, moi, la Plume d’Ange, je vous crois ! Le monde peut être sauvé »…

On peux encore le croiser dans les rues de Toulouse, marchant à grandes enjambées toujours accompagnée de sa batterie imaginaire. Il fait tout en marchant. Il doit faire dans les 2 mètres maintenant, et il est forcément plus vieux, la quarantaine passée. Mais toujours un grand enfant. La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y quatre ou cinq ans, à la médiathèque de Toulouse, hurlant à un conseiller son agacement devant la pauvreté du catalogue… « vous comprenez mon cher monsieur qu’il est parfaitement inconcevable que votre rayon de musique africaine populaire soit si pauvre !!! Mais comment faites vous vos choix ??? Comment je fais moi ??? ». Tout le monde regardait cet échange, interloqué. J’en ris encore Wink

 

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Chloé (song of the swamp), orchestre de Duke Ellington, avec Cootie Williams à la trompette bouchée, et la formidable contrebasse de Jimmy Blanton. C’était en 1936.

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