Le paint-ball et les chiens

« Allez, le paint-ball c’est sympa, et fun ! On va bien se marrer »

-«  Non, sans moi, merci, pas envie de jouer à la guerre, même en peinture… Et de toute façon je n’aime pas avoir une arme dans les mains ».

Mes collègues ricanent, déçus. Tant pis, ils la feront sans moi leur sortie de guerriers du dimanche.

Aller manger un morceau, boire, faire les cons jusqu’à plus d’heure, quand vous voulez. Mais se tirer dessus dans une forêt avec des balles rouges ou vertes,  non merci.

Je suis un rabat-joie. Je le sais. Mais je n’aime pas les armes.

Même tous ces jeux vidéo où on trucide au kilomètre, je ne comprends pas. Je suis trop sérieux pour ça, je dois manquer de fantaisie.

Je n’aime pas non plus l’agressivité, la bagarre. Trop masculin. Je dois être trop lucide.

Je n’ai jamais aimé me battre. Ni le conflit. Je le fuis.

J’en ai connu pourtant des sorties houleuses de boite ou de bistrot au petit matin, des bastons de fin de fête, des situations scabreuses, pire, dangereuses. Je suis toujours celui qui parlemente, qui sépare, discute, réconcilie.

Même avec les flics je me suis retrouvé plusieurs fois mal embarqués ; mes amis ne les aiment pas, ils aiment les provoquer.  Moi je les comprends, je sais les mots qui les font sortir de leurs gonds, les allusions qui les blessent, les gestes qu’il faut pour calmer la sauce. Faut dire que j’ai de l’expérience.

Mon père était flic.

Je me souviens d’une réflexion pleine de sagesse virile d’un de mes jeunes camarades de rugby : « Harpo, un jour, il se fera expulser. Il est trop gentil. Il prendra un mauvais coup et se rendra, bêtement, devant l’arbitre ». Ou le sempiternel : « il te manque un truc : tu cognes pas assez ».

Je me souviens aussi,  gamin, dans la cour de récré, avoir fait voler à 2 mètres un frimeur baraqué qui m’avait sauté dessus. Et ma stupéfaction.

Non, tout ça n’est définitivement pas mon truc. Je suis un calme, un paisible.

J’aime le compromis. Je suis consensuel.

Je peux blesser avec des mots. Beaucoup moins aujourd’hui. J’ai fini par me débarrasser de l’arrogance et de l’ironie qui m’ont longtemps accompagné.

J’ai grandi.

Je ne blesse plus que du regard, en silence. Et encore, c’est si rare. Je préfère partir avant. Fuir.

Je trouve toujours une circonstance atténuante aux gens, comprends pourquoi ils sont comme ça, leur colère, leur hargne.

J’ai tenu une arme dans mes mains, un jour, adolescent.

Le père cachait son arme de service dans la penderie hideuse en face du lit. Il aimait de temps en temps nous la montrer. J’étais seul. Je l’avais facilement trouvé ce flingue. Et les balles aussi. Des réelles. Je ne pourrai dire si c’était un gros calibre ou pas, mais l’objet était énorme dans mes petites mains. Je l’ai armé, pas si difficile que ça de comprendre comment ça marche. La chambre était embrumée, et raisonnait encore des cris, des disputes, et des pleurs.  Etais-je décidé ? Je ne sais plus. J’ai vu défiler en quelques secondes tout mon avenir, et le sien, les journaux, le fait-divers. Et les larmes de ma mère. Je l’ai reposé, en tremblant. Tant pis. Je résisterai.

Un grand frère a fait bien des années plus tard ce que je n’ai pas osé ce jour là. Le père était malade, et souffrait, se plaignait dans la salle à manger. Cancer des os, en phase terminale. Nous étions venu les voir, c’était un dimanche. Le grand frère s’est planté devant lui et lui a dit froidement, les yeux dans les yeux :

« Tu as vécu toute ta vie en gémissant. Tu crèves de la même façon. Comme un chien. C’est logique. »

J’ai toujours aimé les chiens.

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