Conflit de générations ?

J’ai toujours aimé dans la musique, et particulièrement dans le jazz, les rencontres entre musiciens de style ou d’époque différentes. Quand le maître rencontre l’élève, et les styles s’opposent tout en se complétant merveilleusement par la magie de la musique.

Par exemple cette rencontre en 1950 entre le saxophoniste Coleman Hawkins, premier grand ténor du jazz classique, et Charlie Parker, le révolutionnaire inventeur du bebop. Sur cette vidéo on entend parfaitement les deux styles : Bean (Hawkins) et son gros son granuleux, brodant autour du thème, et Bird (Parker), plus moderne, augmentant le nombre de notes dans la même mesure. Les deux jouent et s’écoutent, rebondissent, se reconnaissent, un vrai bonheur :

En 1980, Archie Shepp, un des leaders du free jazz, courant que les critiques nommeront aussi « The New Thing », joue le répertoire du vieux Charlie Parker sur un superbe album Looking at Bird en duo avec le contrebassiste virtuose NHOP (ben oui, on pas idée de s’appeler Neils-Henning-Oersted Pedersen !). Shepp énonçait dans un documentaire de Frank Cassenti : « Parker is my Mozart, Coltrane my Beethoven »… Là encore, opposition de style entre le bebop et le free, Shepp insistant beaucoup plus sur le son, la dissonance, le souffle continu, ralentissant à volonté le rythme. On entend de la nostalgie chez Bird, et de la colère chez Shepp. Et pourtant, il s’agit de la même musique, et toujours de beauté.

Revenons à Coleman Hawkins qui fut un peu le grand frère de beaucoup de jeunes musiciens qui étaient en train de bousculer les standards du jazz dans les années 40/50. En 1963, il joue en duo avec un autre colosse du saxophone ténor : Sonny Rollins. Ce dernier, grand technicien et maitre incontesté du hard bop des années 50, fut bousculé par l’arrivée et le jeu de John Coltrane. Il va s’arrêter plusieurs années, bosser son instrument, et revenir au début des années 60 avec un nouveau jeu, plus heurté, moins rapide, moins virtuose. Jim Jarmusch s’inspirera de son histoire, et notamment des moments ou Sonny Rollins allait jouer seul sous les ponts de New York pour sortir son premier film « Permanent Vaccations » avec John Lurie. En 1963, donc, il sort un remarquable album en duo avec Coleman Hawkins, Sonny Meets Hawk. L’enregistrement est étrange, chaque musicien à sa piste : Bean à gauche, Sonny à droite. Le décalage sonore est amplifié par le décalage de style. Écoutez donc sur ce Lover Man… Pas de conflit de génération ici, juste un passage, un pont entre deux rives du même océan.

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