Il s’appelait Fournier, monsieur Fournier. Un grand type, la quarantaine, avec un air d’adolescent éternel malgré ces cheveux gris et sa blouse blanche. C’était mon prof de maths en 6ème, de maths et de techno en 5ème. C’était l’époque où j’étais bon en maths… Ensuite, je n’en ai plus voulu de cette matière, quelque chose s’est coupé entre les chiffres et moi. Jusque là, ça me plaisait beaucoup.
Et tiens, une des rares instants dont je me souviens de l’école primaire, c’est au cm2. Un type était venu nous présenter un nouveau concept : les mathématiques modernes ! L’instituteur lui avait cédé la place, il ne devait pas être formé à cette nouvelle science. J’ai assisté, ébahi, à la présentation de la théorie des ensembles. Tous ces schémas sur le tableau noir, ces ronds qui se croisaient, je le jure, je kiffais ! Grave !. Comme un nouveau monde qui s’offrait à mes yeux candides.
Mais revenons à ce Monsieur Fournier. Autant le dire, je l’adorais, et il me le renvoyait bien. Il m’avait par exemple appris à maitriser mon hoquet, juste en me demandant « Harpo, d’où ça vient d’après toi ? ». « Euhhh…, la respiration ? C’est nerveux ? ». « Alors ? ». « Ben… Si je contrôle mon souffle…Comme ça… Ah mais ça marche ! ». Je repense souvent à lui quand, à force de manger trop vite, je m’étouffe et hoquette.
Un jour, en 5ème, il avait rendu des copies toutes rouges à la classe. Toutes rouges d’annotations, de remarques, d’injonctions, de questions… Moi, j’avais mon 18 habituel, et un court « très bien, comme d’habitude », mais les autres… Et il était furibard monsieur Fournier ce jour là, en colère, contre les élèves, contre l’école, les familles, le monde, et nous l’a fait savoir. En gros, il disait à tout le monde : « Prenez-vous en main, personne ne le fera à votre place ! ». J’étais ému, bouleversé par ce que je ressentais alors comme un énorme geste d’amour.
Dans la classe, il y avait Mohamed, le cancre, classique, il jouait bien son rôle. Des arabes, il y en avait peu au milieu des années 70 dans les collèges. Un type costaud, sympa, mais nul de chez nul en quasiment tout. Et pourtant monsieur Fournier il l’aimait bien. Et Mohamed aussi, il l’aimait bien. Le charrier aussi, comme quand à la proposition d’observer des spermatozoïdes au microscope, il lui demandait « M’sieur, M »sieur, comment vous avez fait pour les attraper ? ». Personne d’autre n’aurait osé. Un jour, c’est Mohamed qui nous a fait un cour, magistral, sur le moteur à explosion. Son père était mécanicien, et il allait bientôt filer vers des études professionnelles pour suivre son chemin. Ce jour là, ce fut son jour de gloire, et monsieur Fournier il jubilait assis à sa place d’élève. Il venait de me filer là une leçon que je n’oublierai jamais.
Can we teach each other
Can we teach each other how to love tonight?
Let’s not stop until we get it right
Baby, tell me what you like
And I’ll tell you tooPatience, and a little understanding
Is all two people need
When they’re trying to find the key
To make it, make it right
A lot of lovers know how to fight
But not a lot of lovers know how to truly love
They can’t communicate what’s insideSo can we teach each other how to love tonight?
Let’s not stop until we get it right
Mama, tell me what you like
And I’ll tell you tooWishing for a lot of pleasing
Is all two lovers desire
In the hottest hour
You just want it to be and need it to be right
Some lovers think they know what to do
But I want to learn something new
To do for you
I’ll put in the work
I’ll put in the timeCome on let’s go teach each other how to love tonight
Let’s not stop until we get it right
Baby, tell me what you like
I’ll tell you too, girlTell me what you like, tell me what you like
Let’s communicate, say what’s on your mind
Tell me what you like, let’s communicate
Say what you want to say to me
Baby tell me what you like, tell me what you like
Let’s communicate, say what’s on your mind
Express to me every need tonight
I really want to try and get it right
Tell me what you like, tell me what you like
Let’s communicate, say what’s on your mindA lot of lovers know how to fight
Not a lot of lovers know how to truly love
They can’t communicate what’s insideSo can we teach each other how to love tonight?
Let’s not stop until we get it right
Baby, tell me what you like, girlAnd if I understand you I want to give it to you the way you want it done
Tell me what you like, tell me what you like
Let’s communicate, say what’s on your mind
Tell me what you like, say what you want to say to me
Baby tell me what you like, tell me what you like
Let’s communicate, say what’s on your mind
Cody Chessnutt – 2010, album « The Headphone Masterpiece »
Des bons profs, j’en ai eu d’autres, mais si peu, et aucun comme lui.
Y’a bien ce prof d’économie en terminale qui nous exhortait à la rigueur « vous pouvez démontrer ce que vous voulez, même que ce que je vous dis c’est de la connerie, mais non de dieu soyez rigoureux ! Et citez vos sources, ne vous avancez pas à la légère ! ». La rigueur et l’intégrité, il nous l’a démontré le jour où il a foutu dehors le proviseur qui venait nous distribuer des tracts pour sa boite à bac privée. « Vous les vendrez où vous voulez vos cours pour vous en mettre plein les fouilles, mais pas dans ma classe ! ». Et j’aimais aussi son humour, et sa façon de scandaliser les élèves du premier rang en proposant, le sourire en coin, de n’accepter que les personnes âgées dans les guerres, « comme ça elles seront plus rationnelles, et résoudront le problème économique de la retraite ». Je l’ai revu quelques années après, plusieurs fois, toujours organisant les cordons des gréves étudiantes. Parce qu’il était engagé notre prof d’éco.
Ou cette prof de français qui m’avait présenté son mari, au bistrot en face du lycée, parce qu’il aimait François Béranger et que j’avais fait une présentation de ses disques en classe. Elle, je l’ai revue très souvent, après, au cinéma, nous allions voir les mêmes films. Et nous prenions un verre ensemble, tous les deux, en discutant du film, et de la vie.
Ou cette prof d’histoire/géographie qui nous avait amené un jour le prof d’espagnol, qui était notre bête noire, au bistrot – le même – pour discuter, et lui démontrer qu’au final nous étions des jeunes gens sympas et intelligents…
Pour le reste… Beaucoup de médiocrité. Que ce métier doit être difficile…
L’institutrice
Madame l’institutrice est morte ce matin
Ce matin à l’aube dans l’eau de son bain
Y’en a qui disent qu’elle est décédée
Moi je dis elle s’est suicidéeElle était petite et grisonnante
Habillée et habile comme une gouvernante
Ses armoires de fards et de devoirs
Ne protégeaient plus son histoireC’était hier au cours d’histoire
L’Empire romain contre les barbares
« C’est », elle dit, « le début de la fin »
« L’empire romain périra demain »Elle était petite et grisonnante
Habillée et habile comme une gouvernante
Ses armoires de fards et de devoirs
Ne protégeaient plus son histoireSans doute que peut-être que c’est mieux ainsi
L’empire romain au Paradis
Et nous ici sans institution
Sans institutrice à chignonElle était petite et grisonnante
Habillée et habile comme une gouvernante
Ses armoires de fards et de devoirs
Ne protégeaient plus son histoireSa vie à elle était loin d’être belle
Mademoiselle madame veuve et mademoiselle
Voyez ce que je veux dire, voyez peut-être pas
Ce que je veux dire je ne le dirai pasElle était petite et grisonnante
Habillée et habile comme une gouvernante
Ses armoires de fards et de devoirs
Ne protégeaient plus son histoire
Dick Annegarn – 1974, album « Sacré Géranium »