Envie d’écrire. Je crois que la rencontre de samedi a redéclanché quelque chose chez moi. Bizarrement, je ne ressens pas de « down » comme j’ai pu le lire chez Mogwai, mais une sorte de joie sereine. Depuis samedi, mon cerveau s’est remis en ébullition, comme jamais. Un truc que j’avais oublié.
Je crois que j’ai délibérément mis mon cerveau en veilleuse, comme si j’étais depuis toujours conscient d’un danger qui me guettait. J’ai. déjà parlé ici du trop plein émotionnel, de cette hypersensibilité que je camoufle si mal derrière un sang-froid et un flegme à moitié assumé. Mais là il ne s’agit pas de ça. Vers les dix ans j’étais un monstre de connaissance, de savoir. Enfin un monstre quoi 😉 Mais comme tout enfant, je voulais avant tout être aimé, et j’ai très vite compris qu’il ne fallait pas trop déballer tout ça, le garder pour moi. C’est devenu mon jardin secret. J’ai ensuite accumulé toutes sortes de connaissances, surtout les plus inutiles. Je m’amusais à jouer aux jeux à la radio : Quitte ou Double, le Jeu des Mille francs, tous ces trucs où il faut juste avoir de la culture générale et de la
mémoire. Et bien sur je gagnais, souvent. Plus tard, quand je jouais au Trivial Pursuit avec des amis, je faisais bien gaffe à ne pas toujours répondre, même si je savais. Pas trop en montrer, danger ! A force de cacher, j’ai fini par oublier de savoir. Mais comme ça bouillonnait, fallait bien que je m’occupe. Alors j’apprenais par cœur plein de trucs anodins. J’étais incollable sur les pays, les villes, les fleuves, les capitales. Ma façon de voyager. Sur le même principe, j’ai ainsi appris par cœur tous les classements des compétitions sportives : tour de france, championnats du monde, jeux olympiques. Encore aujourd’hui, pour arriver à m’endormir, je me remémore un classement, et ça marche. Chacun ses moutons 🙂
Puis la littérature, l’histoire, la philo, et bien sur la musique. J’ai longtemps été incollable sur les blindfold tests de jazz (jeu où l’on doit retrouver à l’aveugle un titre, un musicien ou un disque, en écoutant juste un passage). J’arrivais même souvent à reconnaitre un musicien ou un album que je n’avais jamais écouté, juste par déduction, ou élimination. J’ai cette étrange faculté d’avoir une image musicale juste en lisant une critique ou un texte la décrivant. J’ai ainsi aimé le rap avant de l’avoir écouté, en lisant des papiers d’un bloggeur devenu aujourd’hui un ami. L’écoute n’a fait que confirmer mes premières impressions.
J’ai voulu jouer aux échecs à une époque, mais vraiment, sérieusement. Je me suis plongé dans la littérature échiquienne, les techniques, les ouvertures, me suis acheté un Kasparov électronique, et me suis plongé corps et âme. Quelques mois, une petite dizaine. J’ai été obligé d’arrêter, mon instinct de survie a déclenché l’alarme : je devenais fou. Je finissais par me demander s’il valait mieux utiliser le pas du cavalier ou la diagonale du fou pour aller d’un endroit à un autre, dans la foule, dans les rues piétonnes de Toulouse. Je pouvais visualiser une partie mentalement, sans jeu, juste avec les notations (e2-e4), et ça me rendait dingue. Quand j’ai lu le joueur d’échec de Zweig, j’ai pleuré. C’était génial, mais effrayant. Je ne sais pas si j’avais flirté avec les limites de mon cerveau, mais aujourd’hui si je joue volontiers aux échecs, c’est sans me prendre la tête, juste sur l’intuition et la mémoire positionnelle. L’intuition plutôt que la réflexion, c’est devenu mon leitmotiv. Penser, réfléchir, cela me faisait mal.
…
J’ai très mal vécu mes années fac, mais je les ai bu jusqu’à la lie : 4 années d’ennui et d’errance au milieu de gens que je n’aimais pas, pour des études qui ne m’intéressaient pas : Sciences Eco, puis Comptabilité. Pourquoi y rester si longtemps ? J’sais pas trop, quoi faire d’autre ? J’ai essayé de bosser comme comptable ensuite… Pas mon truc : je suis dyslexique avec les chiffres, et je m’endormais sur les comptes. C’est d’ailleurs récurrent ce truc, il m’arrive de m’endormir à des moments inattendus.
Un jour, un margoulin est venu vendre à mes parents des cours de programmation informatique : douze leçons en douze semaines. Je me suis retrouvé avec un petit ordinateur (Phillips je crois, 16 Ko de mémoire vive, pas de disque – juste un lecteur de K7 🙂 -, et l’écran c’était la télé). Bon, les douze leçons elles m’ont fait trois jours, et j’ai développé un générateur d’aphorismes (sur la base d’un des travaux de l’Oulipo de Paul Braffort pour ceux qui connaissent) (j’ai rencontré sa fille quelques années après, on l’appelait Nini… non je ne vous dirait pas la suite :)), puis un générateur d’insultes ! C’était marrant ce truc ! Je me suis fait remarquer par une des responsables de Margoulin & Co, qui m’a promis de me trouver un job. Un soir elle m’a emmené avec elle pour l’occasion de ma vie disait-elle… Je me suis retrouvé au milieu d’un grand show servant à recruter des crétins pour aller vendre des alarmes selon le fameux système pyramidal ! Pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre l’arnaque, pis de toute façon j’aimais pas tous ces gens exaltés. Malsains. J’ai surtout ainsi appris à me méfier…
L’informatique ça me bottait bien, je me suis inscrit à des cours d’analyste-programmeur à la fac, mais ça me faisait vraiment chier d’y retourner. Et puis ce truc d’analyste je le sentais pas trop, ça sentait assez fort le boulot répétitif et routinier… J’ai finalement opté pour une formation AFPA sobrement intitulée « Technico-Commercial en Petits Systèmes Informatiques ». Rien de folichon, mais 9 mois payés (maigrement, mais payés). J’ai pas appris grand chose, le niveau n’était pas très élevé, mais ce fut le marchepied idéal pour le monde du travail. Et aussi pas mal de bons souvenirs au milieu de drôles de zèbres. Neuf mois après, je trouvais un job, mal payé et peu intéressant, mais je pouvais enfin m’offrir (enfin louer) un appart, et m’acheter une voiture. L’indépendance, ça n’a pas de prix. Le taf : vendre de l’informatique scientifique et industrielle. Je suis rapidement passé d’assistant, à agent, puis ingénieur commercial (ben oui, pas besoin d’études à l’époque pour ce titre, juste une carte de visite). Un défi pour le quasi autiste que j’étais encore d’aller vendre ma came dans tout le sud-ouest, mais tellement formateur ! J’y ai appris le discours, l’improvisation, la curiosité, la présence, le charisme… Enfin pas mal de trucs qui peuvent aider. Le salaire était équivalent au titre, ça tombait pas mal. Et surtout je me suis forgé une culture informatique en béton au milieu de tous ces chercheurs. J’y ai aussi appris les joies du capitalisme 🙂 Première boite issue du regroupement de plusieurs sociétés pour mieux la vendre quelques années après à une autre : racheté deux fois pour mes trois premières années d’expérience ! Avec un super séminaire dans un château ou l’on faisait la fête la nuit avec les boss, et ceux qui arrivaient en retard le lendemain se faisaient virer illico ! Drôle de sélection naturelle 🙂 Finalement la boite a coulée quelques années après, et je me suis fait lourdé à mon tour juste avant.
Quoi faire ensuite ? Pas envie de continuer dans cette voie, j’étais quand même un assez piètre commercial : j’avais pas compris le truc du caméléon. Je vendais quand j’aimais bien les clients et les projets, sinon rien. Ce qui donne des résultats en dent de scie. Et puis je ne m’y retrouvais pas vraiment. Pis j’avais des sous : prime de licenciement + héritage + Assedics qui arrivaient… J’ai pris des vacances, et tout dépensé en deux mois… Puis j’ai réfléchi, longtemps… trois ans. En vivant de petits jobs au noir, pas toujours très licites. Un pote avait plusieurs commerces en station de ski – boite de nuit, restau, magasins -, et ça ne marchait plus. Pas de neige, ça pardonne pas pour faire du ski. Je lui ai filé un coup de main pour faire deux années de bilan en quinze jour : bossé le jour sur ses comptes, et de temps en temps videur la nuit dans sa boite de nuit – c’était plutôt fun ça. J’ai ainsi découvert que la compta + l’informatique, c’était plutôt dans mes cordes.
Un peu après, une robe est passée dans ma vie. Mais apeurée par l’état de cette vie, elle est vite rentrée chez elle, loin, à l’autre bout du monde, du côté de Tokyo. Je suis allé la chercher, en lui promettant de faire table rase, et de devenir le mec le plus sérieux du monde. Paris gagné, ça a marché une quinzaine d’années. Enfin, plus ou moins bien. Parce qu’avec tout ça j’avais oublié de rendre des comptes avec moi même. Je m’étais quand même largement laissé vivre, et était incapable de construire un projet de vie. L’amour originel, des premiers jours, il n’a pas longtemps survécu à la pression du quotidien, à la routine, je me suis replié dans le travail (informatique de gestion donc, commercial puis consultant, job dans lequel j’ai largement contribué à l’enrichissement de mon patron :)), et refermé en grande partie sur moi même dans ma vie intime. Comme d’hab. Emprisonné dans une non-vie, tout en se racontant que c’est pas mal la vie… La boucle est bouclée.