Question : Pourquoi un livre ne peut-il être à la hauteur de la nécessité de l’écrire ? J. Vicens
Trouvé dans une petite sucrerie oulipienne : « Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres » de Marcel Bénabou – Textes du XXIème Siècle / Seuil, 1986
Extrait de « la parité des bêtes », texte du même Marcel Bénabou :
Constatons d’abord que, si l’on se flatte volontiers d’appeler un chat un chat (cela passe pour une marque de courage intellectuel), on ressent parfois de l’hésitation, voire de la gêne, quand il s’agit d’appeler une chatte … une chatte. Comme si cet animal, attirant autant que mystérieux, faisait un peu peur … On le sait pourtant indispensable, puisque l’on quitte sans regret un lieu où il n’y a pas une chatte. D’ailleurs, disons-le tout net, seul un mauvais coucheur, doté en outre d’une bien mauvaise vue, oserait prétendre sérieusement que la nuit toutes les chattes sont grises. Chacun se souvient au contraire d’en avoir vu, au fil de ses nuits, de toutes les couleurs : des brunes touffues, doux et soyeux des blondes bouclées des rousses frisées. A moins qu’il ne faille prendre ici grises au sens de ivres, éméchées auquel cas le dicton reprend évidemment toute sa pertinence. Ajoutons, pour rester dans le même registre, deux remarques supplémentaires. Ce n’est à coup sûr pas pour signifier un quelconque renoncement que, dans certains cas, l’on accepte de donner sa langue à la chatte. Et, dans ces cas-là précisément, l’on ne s’embarrasse guère de scrupules pour réveiller la chatte qui dort. Certains même ne seront pas fâchés de laisser croire, avec un sourire entendu, qu’ils ont d’autres chattes à fouetter… Et que dire de ceux qui avouent un net penchant pour des partenaires qui ont une chatte dans la gorge ?
On comprendra qu’après cela, j’ose à peine m’engager dans la féminisation des locutions qui font référence à ce mammifère rongeur prolifique qu’on appelle … lapin. C’est vrai, il faudrait par exemple examiner de près ce qui distingue lapine de garenne et lapine de clapierMais peut-être jugerez-vous qu’il y a bien de la pudibonderie, voire de la pusillanimité, dans ma démarche. Je vous l’accorde bien volontiers. Tout ce que je viens de vous raconter là ne vaut pas, en fin de compte, un pet de lapine.