J’ai revu la maman et la putain pour la énième fois. Ce film culte de Jean Eustache fut le film d’une génération. Pas la mienne, j’avais 11 ans en 1973, et j’ai du le voir pour la première fois quinze ans après. C’était à Paris, dans une des nombreuses salles d’art et d’essai de la capitale, véritable caverne d’Ali Baba des cinéphiles. Je me souviens à la sortie du film avoir marché derrière un couple qui s’engueulait – elle avait détesté, trouvait ça vulgaire, lui avait adoré. L’engueulade était sévère, ce couple sentait la mort.
J’aime ce film à divers titres. Pour ce qu’il est formellement – Mog’why l’a parfaitement résumé chez Doinel. Pour le scénario, les textes, les acteurs. Mais avant tout pour la trajectoire de son héros Alexandre / Jean Pierre Léaud. Pendant les deux tiers du film, soit plus de deux heures, Alexandre promène son personnage radieux de dandy désenchanté et brillant. Il parle, sans arrêt, raconte des histoires, conte des mots d’auteurs, référence à tout va. Il vient de se séparer, vit avec une femme plus âgée, et rencontre une jeune infirmière. Bien sur il ne travaille pas, n’est pas encore adulte, mais ce n’est pas grave, il vit, ou plutôt glandouille. A la fois fascinant et agaçant, il va petit à petit se trouver confronté à l’altérité ultime pour un jeune homme : les femmes. Ou la femme. Car elles sont deux bien sur, la maman et la putain. Qui est quoi ? Pas si simple… Toujours est-il que le jeune homme brillant va peu à peu s’effacer devant la force et l’intensité de ces femmes. Son discours n’est qu’artifice et ne suffit plus, il doit choisir. Pas seulement la femme, mais la vie, sa vie. Devenir adulte.
Ce cheminement je l’ai souvent retrouvé dans le cinéma français, des années après. La maman et la putain, malgré son atypisme, a fait école. Je pense notamment à un film comme la discrète dont je parlerai sûrement ici. Mais pas seulement au cinéma, dans la vie aussi. Je l’ai pompeusement appelé « syndrome Alexandre », j’en vois ici ou là, et j’en devine ici derrière les mots . Et je n’y pas tout à fait échappé moi même.